L'AFFAIRE BEN BARKA UN DES NOMBREUX CRIMES IMPUNIS DE LA FRANCAFRIQUE
Mehdi Ben Barka, piégé par le Mossad en plein Paris
Repris intégralement du site Panamza http://www.panamza.com/301014-ben-barka
A
qui profite le silence ? 49 ans après l’assassinat politique de Mehdi Ben
Barka, l’obstruction franco-marocaine de l’enquête judiciaire continue. Décryptage du
scandale, depuis la raison d’Etat qui a conduit au kidnapping du leader
internationaliste jusqu'au
maintien d’un secret d’Etat
sur les commanditaires du crime.
Le 30.10.2014 à 14h21
L’affaire Ben Barka va marquer à plusieurs titres un tournant dans
les relations franco-israéliennes. L’enlèvement, puis l’assassinat de
l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en plein coeur de Paris ouvre une crise
sérieuse entre les alliés. Depuis l’arrivée d’Hassan II sur le trône du Maroc en
1961, le Mossad bénéficie d’une relation privilégiée avec
les services marocains, qui va jusqu’à assurer pour eux des stages de formation.
En 1965, le général
Oufkir, ministre de l’Intérieur et patron des services marocains, rencontre Meir Amit et sollicite l’aide du Mossad pour éliminer Ben Barka,
condamné par contumace pour complot contre le roi. Ben Barka est attiré à
Paris par un agent du Mossad sous prétexte de rencontrer un producteur et un réalisateur
intéressés par un documentaire. A la sortie de la brasserie Lipp, il est
enlevé avec l’aide d’agents du SDECE. Il est détenu dans une villa appartenant à
une figure du milieu puis tué en présence d’Oufkir. Son corps n’a jamais été
retrouvé.
Le scandale est
énorme et oblige à ouvrir une enquête qui aboutira à la purge de certains
éléments pro-OAS du SDECE. Les services français restent discrets sur la
participation du Mossad à l’opération, mais n’en pensent pas moins. A Tel Aviv,
Isser Harel qui a été remplacé par Meir Amit à la tête du Mossad, mais qui
s’est remis en selle comme conseiller du Premier ministre, ouvre une
controverse contre son successeur pour avoir compromis le service dans une
sordide opération et mis en péril la relation privilégiée avec les Français.
Menaçant de faire un scandale, Meir Amit, pourtant mis en cause par une
commission d’enquête confidentielle, parviendra à sauver son poste tandis que
Harel prendra la porte l’année suivante.
49 ans se
sont écoulés depuis les évènements relatés par l’historien Yvonnick Denoël. Hier soir, un rassemblement (http://www.presstv.ir/detail/2014/10/30/384130/france-still-hiding-role-in-death-of-leftist-arab-hero-mehdi-ben-barka)
s’est tenu devant la brasserie Lipp, située
dans le quartier Saint-Germain-des-prés de Paris. Le but : rendre hommage
à Mehdi Ben Barka et exiger la vérité sur son assassinat politique.
La veille, il était en compagnie (https://www.youtube.com/watch?v=R6Q8IcgAzAs)
du maire de Gennevilliers pour
inaugurer une allée dédiée à son père.
Inlassablement, de nombreux
citoyens, entre la France et le MAROC,
continuent d’oeuvrer en faveur de la levée du secret-défense en vigueur sur
l’affaire. Le ministre de la Défense n’a toujours pas remis au magistrat en
charge de l’enquête les archives de l’espionnage français sur Ben Barka. Quant
à Christiane Taubira, garde des Sceaux, elle n’a pas daigné
répondre à l’avocat de la famille Ben Barka qui l’avait sollicitée sur
l’application des mandats d’arrêts internationaux délivrés à l’encontre de
dignitaires marocains suspectés d’être impliqués.
Flashback
Une partie de poker menteur.
L’objectif ? Gagner du temps. Le 2 octobre 2009, le
Parquet de Paris a finalement demandé la suspension des mandats
d’arrêts internationaux lancés la veille par Interpol et signés deux ans
auparavant par le juge d’instruction Patrick Ramaël.
Les personnes
recherchées : cinq Marocains, dont deux officiers haut gradés (http://www.liberation.fr/monde/2006/10/27/affaire-ben-barka-un-membre-du-commando-identifie_55580), suspectés d’avoir
participé à l‘enlèvement, le 29 octobre 1965, au cœur de Paris, de l’opposant
Mehdi Ben Barka. Prétexte invoqué par le Ministère public : Interpol
aurait requis des « précisions » supplémentaires pour appliquer
les mandats d‘arrêts. Une nouvelle péripétie, qualifiée de « mascarade » par Bechir Ben Barka.
Le fils en quête de vérité est
indigné par le revirement, en à peine 24 heures, de la place Vendôme. Il est
vrai que le ministère de la Justice, sous tutelle du pouvoir politique, sait
comment verrouiller et temporiser. Dans la pratique, pour être exécutable,
un mandat d’arrêt international impliquant la France a besoin de son feu vert.
Disposant -depuis 2007- des mandats, la Chancellerie les avait transmis au
ministère de l’Intérieur qui les a remis par la suite à Interpol pour les
besoins d’une diffusion internationale. Heureuse coïncidence : quelques jours
auparavant, Brice Hortefeux, alors ministre de
l’Intérieur, revenait précisément de Rabat où il s’était entretenu avec son
homologue marocain.
A l’annonce de cette énième
chicanerie administrative, Maurice Buttin, l’avocat historique de la famille Ben
Barka, a soupçonné -à voix haute, sur France Info- l’Elysée d’être responsable de l‘obstruction judiciaire par la probable instruction de consignes adressées, via Michèle Alliot-Marie, au Parquet de Paris. L’avocat a tiré les leçons de la parodie de procès de 1967, qui s’acheva sur l’incrimination insuffisante de seconds couteaux, au profit de l’appareil d’Etat français, qui fut préservé, et la condamnation, par contumace, du général Oufkir, protégé au Maroc.
En 1975, le dépôt d’une
nouvelle plainte pour assassinat avait inauguré une procédure judiciaire,
longue, sinueuse et bien embarrassante pour l’amitié franco-marocaine. La levée
du secret-défense s’est faite progressivement en France ces dernières années
(2000, 2004 et 2008) sans pour autant apporter au dossier les pièces
nécessaires à la résolution du crime. Pour le tandem Paris-Rabat, le tabou
majeur se résume depuis près d’un demi-siècle à trois mots, formant un
patronyme : Mehdi Ben Barka.
VRP de la Révolution
Avant de devenir un thriller
judiciaire, l’affaire Ben Barka, non élucidée à ce jour, est d’abord un roman
noir, entre tragédie grecque et film d’espionnage.
C'estl’histoire d’un brillant
mathématicien devenu le chantre du socialisme révolutionnaire. C’est aussi
l’ascension d’un nationaliste combattant pour l’indépendance de son pays et
bientôt propulsé dans l’arène mondiale pour insuffler aux peuples du Sud l’espérance
de l‘émancipation. C’est surtout l’odyssée d’un ancien détenu contraint à
l’exil qui sera finalement rattrapé par une conjuration d’Etats. C’est enfin,
ironie du sort, le drame d’un professeur qui sera condamné à mort par son
ancien élève devenu souverain, le roi Hassan II.
Figure intellectuelle de la
gauche panafricaniste, Ben Barka a été abattu en plein vol,
à l’âge de 45 ans, alors que son charisme s’étoffait sur la scène
internationale. 1965 : la Guerre froide se déploie sur les cinq
continents. Alors que la décolonisation se généralise, les Etats refusant la
mainmise des empires américain et soviétique se sont regroupés sous la bannière
des non-alignés. Dans la frénésie idéologique de l’époque, certains rêvent du
Grand Soir pour les populations victimes des « séquelles du colonialisme traditionnel », selon
les termes de Ben Barka, engagé dès l’âge de 14 ans dans la lutte pour
l’indépendance nationale. Cette première bataille aboutit en 1956 quand la
France renonça au « protectorat » du Maroc.
Mais déjà, ailleurs, sur tout
le continent africain comme au-delà des rives, d’autres combats restent à
mener, sur une plus grande échelle. Durant le début des « années de plomb », qui verront les autorités marocaines
pratiquer une répression impitoyable à l’encontre des dissidents du royaume, le
leader socialiste va devoir rapidement, pour sa propre sûreté, quitter le pays
et devenir, selon l’expression employée par Jean Lacouture, historien et
journaliste engagé dans l’anti-colonialisme, « le commis-voyageur de la révolution ». Il
lui restera alors neuf années à vivre, pour se plonger corps et âme dans le
tumulte révolutionnaire et devenir un leader du tiers-monde, à la manière de Patrice
Lumumba et Che Guevara, tous deux également assassinés durant cette palpitante
décennie.
La mort comme une équation à x inconnues
Il est environ midi, ce 29
octobre 1965. Des hommes ont rendez-vous à Saint-Germain-des-prés pour discuter
cinéma. Le producteur Georges Figon, escroc mythomane, proche à la fois des
milieux littéraires et des truands parisiens, a proposé à Mehdi Ben Barka, avec
la complicité du journaliste Philippe Bernier et sous la direction de
mystérieux intermédiaires, de financer la réalisation d’un film documentaire,
intitulé Basta ! et consacré aux mouvements de libération
nationale. Croyant au rôle de l’image (http://www.liberation.fr/evenement/2005/10/29/il-a-ete-aveugle-par-le-cinema_537299) comme instrument d’éducation
populaire, le Marocain est séduit par l’aventure, d’autant plus que des
artistes prestigieux ont confirmé leur participation au projet, parmi lesquels
Marguerite Duras et le réalisateur Georges Franju.
Ces derniers seront par la
suite effarés d’apprendre que cette production était un leurre uniquement
destiné à piéger physiquement Mehdi Ben Barka. La venue du leader politique sur
les lieux du rendez-vous sera rapidement suivie de son embarquement par deux
policiers accompagnés d’un informateur de la SDECE, le contre-espionnage
français. Direction : Fontenay-le-Vicomte, dans la villa de Georges
Boucheseiche, militant du Service d’Action Civique (https://hichamhamza.wordpress.com/2013/03/09/bobard-merah) et barbouze notoire. La suite du
kidnapping demeure nimbée de mystère. Des témoignages disparates relateront la
détention, la torture et le meurtre de Ben Barka, dont le corps disparaîtra
tout aussi mystérieusement.
La France, embarrassée par
l’assassinat d’une figure politique internationale sur le sol de son
territoire, laissera entendre que les autorités marocaines seules sont
responsables, qu’il s’agisse d’une décision souveraine prononcée par le roi
Hassan II ou d’un acte réalisé indépendamment par le général Oufkir, surnommé
le « Boucher » pour
ses féroces répressions des insurrections populaires. Commentant l’incident
diplomatique, de Gaulle aura ces mots : « Rien, absolument rien, n’indique que le contre-espionnage et la
police, en tant que tels et dans leur ensemble, aient connu l’opération, a
fortiori qu’ils l’aient couverte ».
Le président de la République
ment, par impuissance :
au cœur de l’appareil sécuritaire français, une frange anti-gaulliste,
autonome, issue en partie de l’OAS et en contact direct avec des services secrets
étrangers, perdure et s’active à chaque opportunité, quitte à mettre dans
l’embarras le chef de l’Etat. Ce sont des policiers français qui feront monter
dans leur voiture Mehdi Ben Barka et c’est un « honorable correspondant » du SDECE,
Antoine Lopez (lié au colonel Marcel Le Roy (http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20090603T103334Z), chef du « service
7 ») qui chapeautera le début de l’opération en supervisant le
rapt.
Retrouvé et interrogé en 2005
par France 3, Lopez prétendait avoir perdu la mémoire (http://api.dmcloud.net/player/pubpage/4e7344c194a6f677b000072a/526f9c339473995dae000004/9105ea7db68545d4bf8830ed6822c01e#from=embediframe ).
Même si la piste la plus probable dans la genèse du crime aboutit au Maroc , sa réalisation matérielle a nécessairement bénéficié d’un assistance étrangère. Eliminer Ben Barka était devenu un objectif commun à certaines puissances occidentales, et leurs alliés, dans la répression des mouvements de libération du tiers-monde.
Même si la piste la plus probable dans la genèse du crime aboutit au Maroc , sa réalisation matérielle a nécessairement bénéficié d’un assistance étrangère. Eliminer Ben Barka était devenu un objectif commun à certaines puissances occidentales, et leurs alliés, dans la répression des mouvements de libération du tiers-monde.
Rallier le dissident ou l’éliminer
De nombreux Etats avaient un
intérêt particulier à voir disparaître l’agitateur. En premier lieu, le
Maroc : après avoir tenté de rallier l’intraitable opposant en lui
promettant son intégration à un futur gouvernement d’union nationale, le
nouveau roi Hassan II passera rapidement d’une cordiale amitié envers son
ancien professeur de mathématiques à une farouche détermination à le supprimer,
politiquement puis physiquement. Le 22 novembre 1963, alors que le monde a les
yeux braqués sur Dallas où l’on vient d’annoncer l’assassinat de Kennedy, le
souverain alaouite condamnera à mort le leader de la gauche marocaine, coupable
de conspiration à l’encontre de la monarchie.
Moins de deux ans plus tard, la
sentence sera appliquée, par des voies détournées. Certains, comme le
chroniqueur de Jeune Afrique, Béchir Ben Yahmed, verront dans les
causes de l’acharnement du roi un fait méconnu du grand public : la prise
de position inattendue de Ben Barka durant la « Guerre
des sables » qui
vit en octobre 1963 s’opposer militairement le Maroc et l’Algérie.
L’internationaliste préféra soutenir alors l’Algérie, plaque tournante à
l’époque des groupes révolutionnaires, plutôt que son propre pays d’origine.
Une insolence de trop pour le monarque chérifien.
« Notre mouvement constitue une partie d’une lutte mondiale
qui va de la Chine à Cuba » : quand
il prononce ces mots au Congrès du parti socialiste marocain en 1962, Mehdi Ben
Barka affiche clairement la couleur. Rouge vif. Sans
s’aligner expressément sur le bloc communiste, restant fidèle en cela à
l’esprit des non-alignés, le Marocain prend position, quitte à s’attirer
l’irritation du gendarme mondial, les Etats-Unis, à l’affût permanent des
contestataires.
Président du comité
préparatoire de la Conférence Tricontinentale, qui s’ouvrira à La Havane le 3
janvier 1966, Mehdi Ben Barka participait, de facto, à la convergence des
mouvements indépendantistes. Son programme de lutte contre l’analphabétisme et
le sous-développement avait fait des émules. Etendre à l’Afrique, l’Asie et
l’Amérique latine le projet commun de résister à l’emprise du Nord : cela
procure indéniablement quelques inimitiés tenaces, surtout quand l‘intéressé se
consacre en particulier à démasquer ce que l‘on commence alors à nommer le « néo-colonialisme ».
A cela s’ajouta un cocktail
détonant, composé d’une dénonciation des bases militaires étrangères, d’une
condamnation sans équivoque du nucléaire et de la solidarité revendiquée avec
les luttes armées. Evoquant la rencontre historique
qui aura lieu à Cuba, Ben Barka devient lyrique, dans un esprit prônant la
symbiose idéologique : « Les
deux courants de la révolution mondiale y seront représentés : le courant
surgi avec la révolution d’Octobre et celui de la révolution nationale
libératrice ». Si certains voudront voir en lui un
précurseur visionnaire de l’altermondialisme, d’autres décèleront, au
contraire, dans son discours une radicalité plus proche de celle des futurs
groupuscules armés d’extrême-gauche qualifiés, par la suite, de terroristes. Le
but ultime, déclaré par l’impétueux utopiste : la « libération totale ».
Traqué par la CIA et le Mossad
https://www.youtube.com/watch?v=3_Xd52AdXn4
Si l’implication des Etats-Unis ne provoque plus la controverse, tant la collaboration entre Rabat et Washington était déjà réputée pour sa qualité unique dans le monde arabe, il en va différemment de la piste israélienne. A l’instar de l’Egypte et de la Jordanie, le Maroc a développé des liens étroits avec Tel Aviv, mais beaucoup plus tôt, dès les années 60. Le roi Hassan II était fasciné en privé par la domination militaire d’Israël sur la région, en dépit de son affichage public pro-palestinien. La communauté juive marocaine, dont une grande partie a émigré en Israël, entretiendra longtemps une relation d’admiration et de vénération pour le souverain alaouite.
Elle n’a pas oublié que le père
de celui-ci avait explicitement protégé les juifs marocains de toute
persécution lors de la période pétainiste. Dans cette bienveillance de Tel Aviv
envers Rabat, un organisme jouera un rôle fondamental : le Mossad. Le
service d’espionnage apportera ses compétences au profit de la monarchie
marocaine, en toute loyauté, en échange d‘informations confidentielles sur les
autres chefs d‘Etat de la Ligue arabe. Cette contribution sera d’autant plus
aisée qu’elle favorisera à la fois les intérêts marocains et américains. Ainsi
en va-t-il de l’épineux cas Ben Barka.
En 1966, deux journalistes israéliens, Maxim Ghilan (https://web.archive.org/web/20071001105654/http:/www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=324447) et Samuel Mhor, ont révélé
dans le magazine Bul la participation active du Mossad à l’enlèvement
de Ben Barka, par l’entremise d’un homme d’affaires, juif marocain, basé en
Europe. L’article donne les détails de l’opération, qui devait inclure faux
passeports, planques et administration de poison. La fuite de cette information
explosive découla d’un conflit entre deux chefs rivaux du service secret.
Scandale à Tel Aviv et mesures
immédiates de rétorsion : le magazine fut saisi des kiosques et les deux
journalistes ont été jugés et condamnés à deux mois de prison pour « atteinte
à la sûreté de l’Etat ». La reprise du scoop par les confrères
étrangers, dont Time magazine (http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,836741,00.html) et le Monde, provoqua une
crise politique en Israël, divisant le Parti travailliste et embarrassant considérablement
le Premier ministre Levi Eshkol.
L’assistance logistique israélienne au kidnapping de Ben Barka
ne devrait pourtant pas surprendre les connaisseurs des relations diplomatiques
occultes entre Rabat et Tel Aviv. Même l’historien Alexandre Adler, qu’il
serait délicat d’accuser d’anti-sionisme primaire, a reconnu à maintes
reprises, notamment sur France Culture et Arte, la réalité de la troublante connexion attestée, à nouveau,
par Time (http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,945444,00.htm) en 1975.
Comme l’ont précisé les
chercheurs Ian Black et Benny Morris, dans leur ouvrage,
paru en 1991 et consacré à l’histoire secrète d‘Israël (http://www.foreignaffairs.com/articles/47093/john-c-campbell/israels-secret-wars-the-untold-history-of-israeli-intelligence), cette implication
est le résultat direct de la requête formulée en 1965 par le général Oufkir à
David Kimche, du Mossad, de venir en aide au Maroc afin de capturer le premier opposant à
Sa Majesté. Le Maroc, les Etats-Unis, Israël, et la France comme théâtre des
opérations : une conjuration inédite mais efficace, dont le déroulement
exact de la trame demeure inconnu. Une disparition brutale pour Mehdi Ben Barka
qui explique la mémoire tenace de ceux qui ont décidé, par la suite, de
comprendre et de relater ce qui s’est réellement passé.
Révélations, faux scoops et désinformation
Alors que c’est le goût pour le
7ème Art qui avait causé la perte de Ben Barka, le cinéma reprendra
l’histoire de sa fin tragique, digne du grand écran, avec L’Attentat, polar sec et nerveux réalisé par
Yves Boisset en 1972, durant l’âge d’or des films politiques. Plus récemment,
un téléfilm de Jean-Pierre Sinapi, diffusé sur France 2, sera
accusé de déformer la réalité des faits au profit du Maroc.
A côté des œuvres de fiction,
la traque judiciaire comme journalistique de la vérité suppose de dissocier les
pistes essentielles des hypothèses superflues, mais aussi, et surtout, de
démêler le vrai du faux. Comme le remarque la journaliste Zakya Daoud, certaines
parties prenantes à l’affaire ont tout intérêt à orchestrer une « surabondance de détails » pour
rendre plus complexe la résolution de l’équation. L’affaire Ben Barka sera
inaugurée par L’Express (http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/media/le-scoop-et-le-scandale_730048.html), en janvier 1966, à la veille du
suicide, bien accommodant, de Georges Figon, organisateur du traquenard et beau-fils d’un ministre israélien. Détail
intéressant: à l’origine du scoop, Jean-François Kahn et Jacques Derogy (tous deux engagés dans la mouvance sioniste : https://www.facebook.com/panhamza/photos/a.259863080821062.1073741827.258337060973664/416890211785014)
passèrent sous silence la connexion israélienne de l’affaire Ben Barka.
La presse à sensation rebondira
à plusieurs reprises sur le sujet, allant de pseudo-révélations fournies par de
mystérieux initiés à des tentatives évidentes de désinformation opérées en
amont. Quand l’ancien membre des services secrets marocains, Ahmed Boukhari,
publie en 2002 son livre Le Secret ,
dont les extraits les plus croustillants seront dévoilés dans la revue Maroc Hebdo et dans Le
Monde, beaucoup y verront une accumulation suspecte de faits relatés,
comme le récit pittoresque de la dissolution du corps de Ben Barka dans une
cuve d’acide. Quelques années plus tard, c’est l’Express qui tentera de refaire
le joli coup médiatique de 1966 en dévoilant, grâce à l’historien tchèque Petr Zidek, le rôle imputé au leader marocain
en tant qu’agent du KGB.
Enfin, dans une énième
« découverte » qui n’a pas manqué de faire sourire ou s’indigner ceux
qui ont connu intimement Ben Barka, aussi bien ses proches que ses ennemis, un
journaliste israélien, Shmouel Seguev, reprenant en cela la thèse
audacieuse de l’historien Yigal Bin-Nun, a publié en 2008 Le Lien marocain, ouvrage consacré aux
liens secrets entre le Maroc et Israël. Le livre, préfacé par
l’ancien chef du Mossad Ephraïm Halevy, contient une stupéfiante
assertion: l’opposant marocain, piégé -entre autres- par des espions
israéliens, avait requis en 1960 l’aide financière du Mossad pour
renverser la monarchie alaouite.
David Ben Gourion, le fondateur
d‘Israël, en aurait alors immédiatement averti le roi Hassan II. De même que
les Etats-Unis auraient tenté d’amadouer Ben Barka, avant de le considérer
comme une menace pour leurs intérêts et ceux de leurs alliés, Israël aurait
donc, dans un premier temps, été sollicité par le socialiste révolutionnaire
avant de prendre définitivement parti pour son ennemi juré, le monarque absolu
Hassan II, « despote éclairé » et conciliant. Quoiqu’il en
soit de la véracité de ces affirmations, une leçon ultime ressort de la
tragédie. Les deux « démocraties-phares » ont donc jugé plus
utile, in fine, de soutenir le tyran diplomate et de faciliter, au
passage, l’élimination du combattant pour les libertés fondamentales. Message à
l’attention de l’Axe du Mal et autres Etats voyous : « Faites
ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ».
Le temps presse. Comme le souligne Bechir
Ben Barka, « des témoins potentiels ont disparu ces dernières années,
d’autres sont au soir de leur vie. Nous n’aimerions pas que la vérité parte au
fond d’une tombe ». Dévoiler le canevas de l’affaire
consistera à chercher toutes les responsabilités, en dedans comme au-delà de
l’axe franco-marocain.
Interpol, organisation dirigée
par un tandem franco-américain, serait-elle la mieux
placée pour demander, également, des comptes à l’appareil d’Etat français et
aux services secrets des Etats-Unis et d’Israël pour les graves présomptions
qui pèsent sur eux ? En droit pénal international comme en realpolitik, la
réponse est, évidemment, négative.Cependant, malgré la chape de
plomb, certains continuent d’honorer sa mémoire et de se battre pour
connaître un jour la vérité. Depuis Belfort, où il enseigne, à son tour, les
mathématiques, Bechir Ben Barka s’efforce de déchiffrer l’énigme.
En mémoire de son père comme
envers tous ceux qui, jadis, Marocains et étrangers de par le monde, ont cru en
l’espérance révolutionnaire globale, incarnée et défendue avec ardeur par Mehdi
Ben Barka. Le communiste libertaire Daniel Guérin (http://danielguerin.info/tiki-index.php?page=Ben+Barka+et+ses+assassins), enquêteur inlassable et
spécialiste de l’affaire, avait prédit, au sujet de leader internationaliste,
la conclusion inéluctable d’un destin héroïque :
Ce mort aura la vie dure, ce mort aura le dernier mot.
HICHAM HAMZA
Bonus : en 2001, Arte a co-produit et diffusé un riche documentaire sur
le parcours de Mehdi Ben Barka. La séquence
relative au kidnapping de l'opposant marocain ne fait pourtant nulle mention de
l'implication du Mossad. Une curieuse omission: originaire du Maroc,
la réalisatrice Simone
Bitton, âgée de 59 ans et réputée pour son engagement affiché en faveur des Palestiniens, est une
citoyenne Franco-Israélienne passée -dans sa jeunesse- par l'armée israélienne. En 1967, la
société civile israélienne -notamment celle d'origine
marocaine- avait suivi la polémique relative au magazine Bul :
ses journalistes (dont l'un était issu de Lille) furent emprisonnés pour "atteinte à la sûreté de l'État",
suite à leur article désignant la connexion israélienne de l'affaire Ben Barka. Pourquoi Patrice Barrat, co-auteur du documentaire,
et Simone Bitton -intimement liée au Maroc, à la France et à
Israël- ont-ils passé cet aspect sous silence? Peut-être pour ne pas
heurter la sensibilité pro-israélienne de deux dirigeant-clés
d'Arte : Jérôme Clément, alors patron de la chaîne
du service public, et Bernard-Henri Lévy, président -depuis 1993- de son conseil de surveillance.
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