Interview de Basile Lépohé GNINION neveu de Firmin MAHE du 30 avril 2013
Basile, qui es-tu par rapport à Firmin ?
-
Je suis le neveu de Firmin MAHE qui
était le « petit frère » de mon papa. Le père de Firmin était le
frère même père même mère de mon grand-père côté papa.
Vous dites « MAHIE » au
lieu de « MAHE »?
-
Oui, MAHE, c’est une abréviation. En
Guéré, on parle d’ethnie Wê, MAHIE veut dire : « tu vas voir les
conséquences de ce que tu me fais ».
Pourquoi n’as-tu pas le même nom que lui ?
-
Chez nous, on prend le nom de la
personne de la famille qui était cher. En fait nos aïeux le voient en rêve et
nous l’attribuent. Quant au surnom, on nous le donne au baptême en même temps
que le prénom. « Lépohé » pour moi, ça veut dire : « est-ce
que tu as contribué à ma souffrance ? » En d’autres termes, qui es-tu
pour prétendre venir t’asseoir là au milieu des autres alors que tu n’as pas
sué pour avoir ta part ?
Que penses-tu du procès et du verdict ?
-
J’ai été peiné par notre absence, par
le fait que nous soyons venus qu’à 5 jours de la fin du procès. Nous on pensait
que comme on avait un avocat choisi par la France qui était inscrit au barreau
de PARIS, nous serions bien défendus. Il nous avait dit que tout était prêt,
que nous serions hébergés par la France, que l’hôtel était déjà réservé. Les
personnes clefs, notamment les sœurs de Firmin, son fils et la mère de ce
dernier n’étaient pas là…
Sais-tu que le 26 novembre 2012, soit la veille de
l’ouverture du procès, NDOUMOU a dit que c’était à cause de l’Etat ivoirien qui
ne voulait pas délivrer les passeports et de l’Etat français qui refusait de
délivrer les visas que la famille n’était pas là ?
-
Oui je l’ai appris. Et je pense que
c’est faux parce qu’il ne peut pas dire une chose et son contraire. Il avait
dit que les billets d’avion et les frais d’hébergement étaient pris en charge
par l’Etat français et qu’il ne fallait pas trop en demander à ce dernier. Ce qui nous a mis en retard, c’est le fait
qu’on nous demandait de payer les frais de passeport et que c’était trop cher
pour nous.
Quand avez-vous su que vous étiez convoqué au procès ?
-
J’ai su cela à la mi-novembre.
Et les autres parties civiles ?
-
Au même moment… On savait que le
procès allait avoir lieu mais on ne savait pas exactement quand.
Qui devait venir en France ?
-
Jacques, ses trois sœurs (même mère
même père), Gaël le fils de Firmin et Sylvie sa mère et son tuteur légal. Si
l’enfant avait été au procès, cela n’allait pas se passer comme cela. Au
départ, ce que NDOUMOU disait nous rassurait tellement qu’on n’avait pas idée
de mettre en cause sa parole. Nous on était éplorés. On ne pensait pas à l’argent,
ni à ce que l’on pouvait obtenir. Nous on voyait la légalité. C’était la
Justice qui allait triompher. Alors je viens en France et je tombe dans des
épines. Ce que je pensais, ce n’est pas
ce que j’ai vu au procès. Pour des criminels qui ont tué mon oncle, on nous
montre des photos que je ne reconnais même pas. On les condamne avec du sursis.
Vous avez tué en Côte d’Ivoire alors que
vous êtes venus là-bas pour rétablir la
Justice.
Certains disent que vous êtes là justement pour l’argent et
que vous en voulez à NDOUMOU…
-
…Ceux qui disent cela, c’est pour
saper le moral des gens. Quand Jean HELENE a été assassiné en Côte d’Ivoire,
l’Etat ivoirien a été condamné à verser 137 millions de francs CFA à sa famille
(NDLR : soit un peu plus de 200 000€). Personne n’a trouvé ça
anormal. Pourquoi est-ce que ça serait choquant que notre famille touche des
dommages et intérêts pour le préjudice subi ?
Notre affaire avec Maître NDOUMOU, ça ne date pas des jugements, du
procès et de tout ce qui en découle. Ca remonte au départ pour venir en France.
Il savait que nous n’avions pas les moyens pour venir en France, notamment pour
faire les passeports, mais il nous a laissés sans aide et sans solution pour
les payer à quelques jours du procès. Il savait également que Jacques mon oncle
était malade. Depuis 2009, on l’appelait pour lui dire que ça n’allait pas et
qu’il devait nous aider à soigner Jacques, mais il nous disait qu’il n’avait
pas les moyens, vous voyez.
Maître NDOUMOU est
votre avocat. Pourquoi pensez-vous que c’était à lui de vous aider à prendre en
charge les soins de Jacques ?
-
Parce quand il est arrivé en Côte
d’Ivoire en février 2006, il nous a accordé une audition à la Tour A
(NDLR : où se trouve le Tribunal militaire). Il n’a cessé de répéter qu’il
était venu pour défendre notre frère MAHE, pour que les insanités qui ont été
dites sur lui soient dénoncées et qu’il allait rétablir la vérité.
Vous ne répondez pas à ma question précise… Pourquoi vous
attendiez-vous à ce que Maître NDOUMOU prenne en charge certains frais
concernant le reste de la famille ?
-
Quand il est arrivé, on l’a invité à
la maison. Là, il nous a dit qu’il pouvait prendre le dossier, mais qu’il fallait
qu’on signe un papier, que s’il gagnait le procès, il allait prendre 20% de ce
qui nous reviendrait. Quelques heures après, j’étais déjà parti et ils m’ont
rappelé pour que je revienne aux 3 Rouges (NDLR : quartier de YOPOUGON). A
mon retour, la famille était unanime pour signer la convention à 35%. En effet,
NDOUMOU leur avait expliqué que si on signait à 35%, cela inclurait des aides
éventuelles en cas de nécessité, de maladie pour tout le monde ainsi que de
l’argent pour subvenir directement aux besoins de l’enfant de Firmin qui venait
d’avoir 2 ans. Il était un peu malade et n’était pas encore déparasité.
Maître NDOUMOU a-t-il respecté ses engagements ?
-
Un centime, il n’a jamais envoyé pour
quelqu’un jusqu’à présent.
Finalement, qui a signé ce document ?
-
Jacques, Madeleine, Pacôme,…
Quelqu’un a même signé à la place des 3 sœurs de Jacques côté maman qui étaient
au village (à DALOA et à BANGOLO). Il y avait environ 14 personnes qui ont
signé.
Qui a ce document aujourd’hui ?
-
NDOUMOU a l’original.
Est-ce qu’il y a des copies ?
-
A ma connaissance seule une parente
éloignée que NDOUMOU a érigée en représentante de la famille possède une copie
du document.
Vous parlez d’un document très important qui engage Maître NDOUMOU, mais pourquoi
n’avez-vous pas dénoncé son attitude
avant le procès ?
-
En 2006 quand il venait, c’était au
temps de Laurent GBAGBO. A cette époque, il nous rassurait. Puis après quand il est rentré en France,
nous partions à la Tour A et nous l’appelions, mais il raccrochait ou il ne
donnait pas suite. J’ai commencé à perdre confiance parce qu’il n’est pas
honnête. J’étais le porte-parole de la famille et nous avions peur que si on le
dessaisissait depuis la Côte d’Ivoire, le procès allait avoir lieu sans nous.
Il valait mieux être là au procès pour pouvoir dire ce qu’on pense et apporter
la part de vérité de la famille.
En 7 ans, vous avez vu Maître NDOUMOU combien de fois ?
-
On l’a vu une fois seulement !
Avez-vous reçu des écrits de sa part ? Avant le procès,
il y a eu la libération de RAUGEL et SCHNIER, le non lieu de PONCET, le renvoi
aux Assises… Etiez-vous informés de tout cela ?
-
Pas par Maître NDOUMOU, mais par les
journaux : Le Courrier d’Abidjan, L’Intelligent d’Abidjan, Jeune Afrique,
Le Monde,…
Aujourd’hui, qu’attendez-vous de la Justice française ?
-
La Justice française a tendance à
étouffer le dossier. Nous constatons une Justice vraiment
« serpentine ». Je ne comprends pas comment des tueurs peuvent être
condamnés à du sursis pendant que des rebelles qui ont éventré des femmes
enceintes, tué des vieillards qui ne pouvaient pas se sauver eux sont nourris,
blanchis, logés et occupent des postes administratifs. Ils nous font croire
qu’il fallait tuer MAHE pour ramener la paix dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire
et aujourd’hui c’est le pire qui se passe en Côte d’Ivoire. Je suis venu du
pays depuis à peine 5 mois, et bien avant que je n’arrive, j’ai pu constater
que la liberté d’expression n’existe plus. Les droits de l’Homme ne sont plus
respectés. L’impunité est partout. Les opposants sont arrêtés, torturés et
parfois assassinés dans des camps de concentration.
Aujourd’hui le procès est fini et vous êtes toujours en
FRANCE. Quelle est votre situation ?
-
Nous…
Nous ?
-
Jacques (NDLR : Jacques est le
frère aîné de Firmin MAHE, même père, même mère) et moi sommes là en tant que
parties civiles. Le procès est fini ? Non il est toujours en cours !
Quel est votre statut ?
C’est NDOUMOU qui
voulait nous faire partir de force. Depuis le 10 décembre dernier, il ne nous a
même pas fait savoir ce qui allait se passer après le procès et il a refusé de
réagir au verdict. Il nie que nos vies sont
menacées suite à ce dernier. Il dit que d’autres parties civiles ont assisté au
procès, qu’elles sont reparties en Côte d’Ivoire et que ça se passe bien pour
elles. Sauf que ces autres parties civiles ne sont pas connues en Côte
d’Ivoire, et quel lien ont-elles vraiment avec MAHE ? Il ne faut pas
confondre la constipation et la grossesse. Ce n’est pas la même
chose. Aujourd’hui, le problème que nous vivons est lié à la situation de
BANGOLO et à l’affaire MAHE. Les personnes dont NDOUMOU parlent ont décidé
d’enterrer le dossier alors que nous sommes en France pour exiger que la vérité
soit faite sur la mort de Firmin MAHE. C’est ce combat qui nous met en danger
et que beaucoup de personnes veulent faire taire. Et si justement il n’est rien
arrivé à 2 des parties civiles qui sont rentrées au pays, c’est aussi parce que
nous sommes ici à dénoncer les pressions que nos parents subissent au pays.
Mais au village à BANGOLO, personne ne vous attend ?
-
En Côte d’Ivoire, ce sont les
enlèvements et les disparitions tous les jours. Les rebelles nous ont arrachés
à nos terres et à nos plantations. Ils les occupent aujourd’hui. Des analphabètes
dirigent le pays. C’est un problème foncier. On a des problèmes avec certains immigrés
qui sont venus de la sous-région et qui ont profité de la crise postélectorale
pour occuper nos terres.
Quel est votre statut aujourd’hui ?
-
Nous sommes demandeurs d’asile.
Pensez-vous que l’OFPRA va vous accorder l’asile ?
-
Malgré ce qu’ils ont fait à mon oncle
ou plutôt à cause de ce qu’ils ont fait à mon oncle, la France nous doit
réparation, sans compter les massacres
qui se poursuivent… Les autorités françaises doivent nous accorder l’asile en
attendant que la paix revienne en Côte d’Ivoire et tant que nos vies sont
menacées.
Un dernier mot pour conclure ?
-
« C’est de la manière dont tu
t’arrêtes devant le tailleur qu’il prend ta mesure ». NDOUMOU prétend
aujourd’hui avoir été mandaté par l’Etat français tout en continuant à affirmer
que nous l’avons désigné comme avocat en 2005. Son attitude, sa façon de
traiter notre dossier, sera déterminante de la façon dont il sera traité demain
par ses confrères, ses clients, l’opinion publique… Il paraît même qu’il veut
devenir bâtonnier et il n’est même pas capable de fournir les pièces
nécessaires au Bâtonnier devant lequel il nous a fait convoquer pour nous réclamer
20 000€ d’honoraires (rires) ! De la même façon, il a réclamé un
préjudice économique en dommages et intérêts (sans suite puisque MAHE ne nous
versait aucun revenu) alors qu’il n’a même pas demandé de préjudice moral. Mais
vraiment ce qui nous a le plus choqué, c’est qu’il a réclamé des frais
funéraires sans même apporter la moindre facture de la morgue de TREICHVILLE
alors qu’il est le seul à être en possession du document original permettant de
retirer le corps de notre parent pour que nous puissions enfin l’enterrer (en
effet, il nous a fait croire pendant plus de 7 ans que l’on ne pourrait
demander la restitution du corps qu’après le procès et la condamnation des
assassins. Aujourd’hui, il dit que c’est compliqué et qu’il faudrait encore au
moins 3 ans. Sauf que nous tenons de source judiciaire qu’il n’a même pas
demandé la restitution du corps !)
Mais en attendant, c’est vous qui êtes déboutés de toutes vos
demandes et qui devez supporter de voir les assassins de votre oncle en liberté
qui continuent d’insulter sa mémoire ou bien ?
-
Nous n’avons rien à nous reprocher…
C’est celui qui a le crédit de « qu’est-ce qu’il y a » qui prête
oreille quand on parle de « qu’est-ce qu’il y a ». On voit NDOUMOU s’agiter,
nous menacer et revendiquer d’avoir été mandaté par l’Etat français tout en
maintenant avoir été désigné la famille
dès 2005. Il est même allé jusqu’à évoquer des documents classés secret défense
pour justifier de n’être en mesure de produire aucun document sur l’origine de
sa désignation ainsi que sur ses honoraires, hormis une cinquantaine de cartes
téléphoniques dont il réclame le remboursement prétendant que c’est avec ces
cartes qu’il nous appelait pendant toutes ces années où il a fait semblant
d’être à nos côtés. Nous sommes sereins. La France est un pays des Droits
de l’Homme. Un jour, la vérité
rattrapera le mensonge et Justice sera rendue à notre frère et à notre famille
sur ce qui s’est réellement passé… Au-delà de l’affaire Firmin MAHE, c’est
toute notre région qui réclame Justice car il n’y aura pas de paix tant que les
actes de la rébellion qui ont abouti à la situation où nous sommes seront
couverts par les autorités ivoiriennes, mais aussi par l’Etat français qui les
soutient.
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