Adèle DITO, un témoin exfiltré et acheté

15/04/2007 à 00:00
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Deux ans après les faits, l'affaire Firmin Mahé - du nom de ce présumé coupeur de route ivoirien mort étouffé le 13 mai 2005 entre les mains de soldats français de l'opération Licorne - demeure une « patate chaude » dont le ministère de la Défense aimerait se débarrasser au plus vite. Reste que l'enquête ouverte par le tribunal aux armées de Paris (TAP) a d'ores et déjà débouché sur cinq mises en examen, dont celles du général Poncet et du colonel Burgaud et que leur procès devrait s'ouvrir début 2008. C'est dans cette perspective que l'état-major français en Côte d'Ivoire a, selon nos informations, secrètement procédé en novembre 2006 à l'exfiltration vers la France d'une certaine Adèle Dito, maire adjointe de Bangolo (la préfecture d'où était originaire Firmin Mahé) et témoin à décharge potentiel en faveur des militaires.
Proche de l'adjudant-chef Raugel, l'un des mis en examen, accusé d'avoir lui-même enfilé un sac plastique sur la tête de la victime, Dito a en effet toujours soutenu que Firmin Mahé était un dangereux bandit de grand chemin. Une thèse contestée par la famille du défunt, mais qui présente l'avantage de relativiser la culpabilité des militaires, lesquels auraient en quelque sorte débarrassé la région d'un criminel. Réfugiée dans la région parisienne, Adèle Dito a déjà été auditionnée à deux reprises par la juge d'instruction du TAP, Florence Michon.
Autre petite manœuvre (à moins qu'il ne s'agisse d'une bizarrerie scientifique) : la querelle d'experts à propos du cas de Jacques Dahou, frère de Firmin Mahé et principal plaignant dans cette affaire contre les cinq militaires français. Prié de certifier le lien de parenté entre la victime et ce dernier, l'ingénieur Menut du laboratoire de police scientifique de Paris estime, dans un rapport en date du 16 janvier 2007, qu'« aucun ADN exploitable n'a pu être obtenu à partir des prélèvements réalisés sur les fragments d'os de Mahé ». Toute comparaison avec les prélèvements buccaux effectués sur Dahou étant donc impossible, cela pourrait avoir pour conséquence de débouter ce dernier et toute sa famille de leur demande de dommages et intérêts. Réalisée un mois plus tard à la demande de Me Fabien Ndoumou, avocat de la partie civile, par le professeur Doutremepuich, expert auprès des tribunaux, une contre-expertise conclut, à partir des mêmes éléments, à une « probabilité de fratrie de 99,86 % » ! J.A. a obtenu copie de ces deux rapports, sur la base desquels la juge Michon devra trancher.


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Le corps de Mahé bientôt exhumé

Publié le 24-01-2006 à 16h16
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Des analyses ADN devraient être pratiquées mardi prochain sur le cadavre de l'Ivoirien tué par des soldats français en mai 2005.


Des soldats de l'opération Licorne en juin 2004 (Sipa)
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On a appris mardi 24 janvier de source judiciaire que le procureur militaire de Côte d'Ivoire, Ange Kessi, se rendra dans une semaine à Man (ouest) où aurait été enterré l'Ivoirien Firmin Mahé, tué par des soldats français de la force Licorne en mai 2005, pour assister à l'exhumation du corps.
"Je me rendrai mardi (31 janvier) à Man", a indiqué le capitaine de corvette Ange Kessi, commissaire du gouvernement, équivalent du procureur de la République.
La juge d'instruction française chargée de l'enquête en France a demandé à la justice ivoirienne de rechercher le corps de Firmin Mahé, a par ailleurs indiqué mardi à Paris une source proche de l'enquête. 

Avant les révélation du Monde

Dans le cadre d'une commission rogatoire internationale, Brigitte Raynaud, juge d'instruction au tribunal aux armées de Paris (TAP), a demandé au procureur militaire ivoirien Ange Kessi de localiser le corps de Firmin Mahé et de pratiquer des analyses ADN, a indiqué cette même source.
Brigitte Raynaud, chargée depuis le 17 octobre d'une enquête visant uniquement des faits d'"homicide volontaire", est également attendue à Man le 1er février, a affirmé le procureur ivoirien.
Ces opérations auront lieu en Côte d'Ivoire au nom de la justice française et le corps ne sera pas amené en France, a-t-on précisé.
La commission rogatoire est antérieure aux révélations du quotidien français Le Monde du 21 janvier, dont les envoyés spéciaux, se fondant notamment sur les indications d'un fossoyeur, ont localisé la tombe de Firmin Mahé au cimetière de Man (450 km au nord ouest d'Abidjan).

Autopsie et analyses ADN

Le procureur militaire ivoirien a précisé à Abidjan que des experts français désignés par Brigitte Raynaud "seront présents lors de ce déplacement", en ajoutant avoir eu lundi "une longue conversation téléphonique" avec la juge française.
Ange Kessi n'a pas précisé les circonstances exactes entourant l'exhumation du corps de Firmin Mahé, notamment un éventuel transport du corps vers Abidjan, mais a évoqué "une autopsie et des analyses ADN".
La ville de Man est située en zone sous contrôle de la rébellion des Forces Nouvelles (FN, qui contrôlent la partie nord du pays depuis septembre 2002).
Firmin Mahé, accusé par les soldats français d'exactions et violences envers les populations locales, est mort étouffé la tête sous un sac en plastique dans un véhicule blindé de l'armée française le 13 mai 2005 entre Bangolo et Man.
Cinq militaires, parmi lesquels le général Henri Poncet, ancien patron de l'Opération Licorne, ont été inculpés dans l'affaire du meurtre de ce civil qui a ébranlé l'armée française.

Identité

L'exhumation du corps localisé à Man devrait permettre de lever les doutes sur l'identité de la victime. La publication dans la presse française d'extraits d'un rapport de gendarmes français sur l'arrestation dans la région d'un certain Nestor Mahé, avait alimenté l'hypothèse d'une confusion sur le "coupeur de route" tué par les soldats français.
La France maintient 4.000 soldats en Côte d'Ivoire au sein de la force Licorne, aux côtés de plus de 7.000 Casques bleus engagés dans l'Opération des Nations unies dans ce pays (Onuci) pour empêcher une reprise des violences dans ce pays coupé en deux depuis septembre 2002 par la rébellion des FN.


Côte d'Ivoire : sur la piste du véritable Firmin Mahé

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par Franck Johannès et Jean-Philippe Rémy

 

En homme avisé, Isidore a inhumé le corps un peu à l'écart. Loin des fosses des premières victimes de la guerre, tuées il y a trois ans et si rapidement recouvertes au bulldozer que, du bout de la machette, il retourne une motte et dégage une cervicale. "Mahé, c'était un braqueur, explique le gardien du cimetière, il doit secoucher seul. On ne sait jamais, peut-être les enquêtes vont venir."
Qui était Firmin Mahé ? Un "coupeur de route", un bandit de grand chemin"recherché pour de nombreux crimes commis dans le secteur", comme l'assure le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées françaises ? Le ministère de la défense lui attribue, sans hésiter, "5 morts, 9 blessés et 4 viols"entre le 3 avril et le 5 mai 2005, c'est-à-dire l'ensemble des crimes relevés dans la région dans cette période. En réalité, dans une région où les preuves manquent et les manipulations abondent, nul n'en sait rien. Les soldats français, relevés tous les quatre mois, n'ont ni le temps ni les moyens de percer les subtilités politiques des rivalités locales.
Les Français ne sont même pas sûrs d'avoir tué "le bon" Mahé. La thèse de la confusion avec un "homonyme", Nestor Komahé, du village de Gouégui, ne tient guère : c'est bien Firmin qui était visé. Nestor, que tout le monde connaissait sous le nom de Zas, a été arrêté la veille de la mort de Mahé. Il croupit depuis dans une geôle de Man, sans espoir de jugement — il n'y a plus de système judiciaire depuis longtemps dans la région.
La trace de Firmin Mahé commence à Dah, un village de 4 000 âmes à l'ouest de la Côte d'Ivoire. La route goudronnée grimpe de Duékoué, tenue par les forces loyalistes au Sud, traverse la "zone de confiance" contrôlée par l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci) et surtout les militaires français de la force "Licorne". Elle file ensuite jusqu'à Man, entre les mains des ex-rebelles des Forces nouvelles, qui contrôlent la moitié nord du pays. Entre les deux, à hauteur de Bangolo, préfecture et épicentre local des combats, la piste s'enfonce de quelques kilomètres dans la brousse, vers Dah.
Célestin Doh et son frère Mathias se cramponnent dans une voiture fatiguée sur la piste défoncée, jusqu'à l'étang où trempent quelques arbres. C'est le Tohou, qui protège le village. "Eau sacrée, interdit de pêcher", prévient un panneau aimablement offert par le commandant de l'Onuci à Bangolo. Mathias descendparler en langue guéré aux poissons, pour qu'ils bénissent le passage. "Un jour les Yacoubas, des gens du Nord, sont venus attaquer le village, explique Célestin, ils ont pris de l'eau et se sont endormis. Les guerriers guérés ont pu les tuer. C'est la vérité, même l'ONU l'a reconnu."
Célestin et Mathias sont cousins de Mahé, ils vivent à Abidjan. Célestin a réussi. Il a 30 ans, prépare une thèse de sociologie, il est surtout sous-brigadier des douanes à l'aéroport. Il envisage sérieusement d'acheter un 4 × 4 et veille sur sa carte professionnelle qui vaut tous les sésames aux barrages routiers.
Mahé avait probablement 29 ans lorsqu'il a été tué. Les certitudes manquent : le toit du bureau de l'état-civil, à la mairie de Bangolo, a été détruit par les rebelles et ce qui reste de documents a été lessivé par les pluies. Sa mère, Makoula Gahou est morte en 1978, son père, Gaston Sylla Dahou en 1985. Il avait trois soeurs — Joséphine, Yvonne et Eglantine — et deux frères, Guy Maurice Dahou, mort "en 2002 ou 2003", et Jacques Dahou, 41 ans.
Le vrai nom de Mahé était donc Firmin Dahou. "Mahé", patronyme courant dans la région, était son "nom proverbial", le seul usuel, qui, en guéré, signifie "tu verras", ou "as-tu oublié ?" — sous-entendu, "oublié la tradition" ; ce qu'à Dieu ne plaise. Firmin a été élevé par une parente jusque vers 15 ans dans un village voisin, Béoué, avant de rejoindre son frère Jacques à Abidjan, en 1991 ou 1992.
Dans la métropole lagunaire qui vivait alors ses dernières années fastes, Jacques a monté un petit atelier de plomberie dans le quartier populaire de Koumassi. Atelier est un grand mot : un coin de trottoir poussiéreux, une sacoche pour les réparations, quelques restes de chasse d'eau en plastique pour bien fixer la nature du commerce. Comme tant d'autres, attiré par les gratte-ciel d'Abidjan, Mahé vivote.
Il s'est mis en ménage à Port-Bouët, près de l'aéroport, avec Sylvie Laho, une jolie femme de 32 ans rencontrée à Dah en 1990, et dont il a eu un petit garçon, Gaël, le 30 août 2004. Il rentre régulièrement à Béoué, dans l'Ouest, où il entretient un second ménage avec Edith Zahédié, 22 ans, qui lui a donné une fille, Epiphanie, 6 ans. "Mahé me disait qu'il retournait au village cultiver son champ de riz, explique Sylvie, à Abidjan. Moi je restais là, l'enfant était trop petit." "Je lui disais : il fautquitter Abidjan, indique Edith à Béoué, il n'y a rien là-bas."
Puis la guerre est arrivée, en septembre 2002. Un groupe de militaires, discrètement appuyés par le Burkina Faso voisin, tente de renverser le président Laurent Gbagbo.
La tentative échoue, les mutins se font rebelles et prennent le contrôle de la moitié nord du pays. "Tous les villageois avaient fui Bangolo, se souvient Célestin, et s'étaient réfugiés à Dah, dont la force mystique est reconnue." Les rebelles passent au village le 1er févier 2003, reviennent le 22 mars, et laissent derrière eux 48 morts, dont un cousin de Célestin.
Le chef du village, Bernard Kpaézo, mort depuis, réunit les jeunes du village et créé un groupe d'autodéfense, avec une quarantaine de machettes et quelques fusils calibre 12, l'arme de chasse traditionnelle. Le groupe est pompeusement baptisé Force d'intervention rapide de Dah (FIRD) et commandé par un oncle de Mahé, Prince Dié, promu général. Chacun hérite d'un badge dûment tamponné par le chef du village, et d'un slogan, "Vigilance-Rigueur-Efficacité".
En cette période troublée où les miliciens du Liberia voisin se sont joints à la guerre civile ivoirienne dans l'Ouest, où chaque camp se livre à des massacres, l'émergence de petites structures locales de défense est, dans un premier temps, considérée avec bienveillance par les forces étrangères, qui tentent de ramenerun semblant de calme — troupes françaises et africaines d'une force d'interposition régionale. Selon les habitants de Dah, les soldats distribuent quelques treillis et des rangers. Prince Dié a toujours une lampe frontale offerte, avec quelques conseils, par un certain "adjudant Dieu" de Licorne.
Le bilan des affrontements à Dah est modeste. Mais la région vit dans la terreur et la hantise de l'infiltration, chacun soupçonne son voisin d'être un espion. Les Forces nouvelles ont été repoussées jusqu'à Man, mais les bandes armées pullulent. La création d'une "zone de confiance" entre le Nord et le Sud, où patrouillent les "forces impartiales", ne parvient pas à ramener le calme. La région cumule toutes les violences, des communautés qui vivaient en paix avant la guerre sont désormais à couteaux tirés. D'un côté, les Dioulas, du Nord, qui forment avec des Ivoiriens venus d'autres régions, des Burkinabés et des Maliens parfois installés de longue date en Côte d'Ivoire, la vaste masse des "allogènes", selon la terminologie empoisonnée du pays. De l'autre, les "autochtones", qui accusent aujourd'hui les nouveaux venus de piller leurs terres. Avec la guerre, chaque communauté est supposée avoir choisi son camp, présidentiel pour les "autochtones", notamment le groupe guéré de Mahé, rebelles pour les "allogènes".
Dans la "zone de confiance", les haines bouillonnent d'autant plus que l'argent excite les convoitises. La région est riche de son "or brun", le cacao, que les acheteurs, à bord de petits camions, vont chercher au fond de la brousse poursortir les fèves du pays, en direction de Man ou de Duekoué. Les sommes transportées par les acheteurs ont toujours tenté les braqueurs. Les alentours de Bangolo, grosse zone de production cacaoyère et berceau de Firmin Mahé, sont réputées abriter de nombreux "coupeurs de route". A la faveur de la guerre, l'ancien plombier est devenu membre de la galaxie des "patriotes", les fidèles du président Gbagbo. Le cousin Célestin lui-même est un proche de Charles Blé Goudé, "général de la jeunesse" et leader des jeunes patriotes. Cela n'en fait pas un bandit mais, comme le remarque Célestin, "Mahé avait reconnu des Dioulas pendant les attaques rebelles qui sont revenus comme commerçants. Il réglait leur compte à tous ceux qui avaient attaqué son village".
En avril 2005, les transporteurs n'en peuvent plus. "Les bandits sont à Bangolo, ils repèrent les camions et tuent les chauffeurs, jure l'un de leurs responsables à Man. C'est le gouvernement qui tue ici, en utilisant les 'patriotes'. En 'zone de confiance', ce sont les Guérés." Les villageois guérés jurent au contraire que les commerçants dioulas sont des agents des rebelles qui tentent de mettre la main sur le cacao. La crise est telle, au printemps 2005, que les transporteurs observent trois semaines de grève, jusqu'à ce que les militaires de Licorne escortent les convois.
Pour les Français, les coupeurs de route sont devenus une priorité. Trois d'entre eux ont été arrêtés, conduits chez le procureur de Daloa, qui les a relâchés. "Il faut en buter un, après ça ira mieux", reconnaît avoir dit le colonel Eric Burgaud, patron de Licorne à Man. Il charge l'adjudant-chef Guy Raugel, de Bangolo, de régler la question. Le colonel n'a jamais entendu parler de Mahé, l'adjudant-chef, si. "C'était un fou sanguinaire, indique le sous-officier au juge, il avait commis les pires choses."
Guy Raugel s'appuie essentiellement sur une source, Adèle Dito, troisième adjointe au maire de Bangolo, qui gère la municipalité en l'absence de l'élu réfugié à Abidjan. "Mahé était le chef de tous les groupes de coupeurs de route de la région, maintient Mme Dito, qui s'inquiète pour sa sécurité. Il n'a jamais vu un champ de riz, il ne vivait que du banditisme." L'un de ses adjoints assure qu'"avant la guerre ils ont violé des femmes de gendarmes". Ils auraient aussi, il y a quelques semaines, "dépouillé, taillé un jeune homme de Béoué et sucé son sang". Du coup, la mairie de Bangolo a relevé sur un cahier les noms des suspects et les a livrés aux Français. "Les forces impartiales viennent, explique un adjoint, on leur donne des informations précises, et ils s'en vont patrouiller. Nous sommes comme des indicateurs, on les met sur la voie pour que la sécurité revienne."
Evidemment, les preuves manquent. Adèle Dito reconnaît n'avoir jamais vu Mahé. Au contraire de son adjoint, qui a quelque raison de lui en vouloir. Quand les rebelles ont pris Bangolo, en 2003, un homme de la région, Francis Bahiet, en a profité pour occuper la mairie, rétablir un semblant de légalité et percevoirquelques taxes municipales. Il était alors accompagné de Mahé, mi-bras droit, mi-garde du corps. Mais quand les Français, en octobre 2003, ont repris la ville, l'ancienne équipe municipale, et notamment Adèle Dito, a voulu récupérer son poste. Les deux groupes en sont venus aux mains. Mme Dito, appuyée par les Français, a finalement récupéré son siège. Mais elle avait une bonne raison de sedébarrasser du clan Mahé.
Le 13 juin 2005, Firmin qui a dormi avec sa compagne Edith à Béoué, marche sur la route avec elle et un petit cousin, Clément Gnéné, 16 ans, vers le marché de Guéyéni, pour acheter du poisson. Une patrouille de Licorne les double, quelqu'un crie : "C'est lui, Mahé !" On lui demande de monter, il se jette dans les taillis, un maréchal des logis tire une rafale, le blesse à la jambe. Les recherches, appuyées par deux hélicoptères, ne donnent rien. Dans la soirée, une patrouille ramasse Mahé en sang sur le bord de la route et le conduit, sur le capot d'une Jeep, jusqu'à Bangolo.
A l'infirmerie, Mahé, à demi-inconscient, essaie de mordre l'infirmière qui découpe son pantalon. Des soldats français le passent à tabac. Puis le colonel Burgaud demande à l'adjudant-chef Raugel de conduire le blessé à Man, "en prenant bien son temps". Guy Raugel demande si le prisonnier doit arriver mort. "Vous m'avez bien compris", répond le colonel. Dans le véhicule blindé, l'adjudant enfile un sac plastique sur la tête de Mahé, qui a les mains ligotées dans le dos, et scotche le sac avec du chatterton. "Mahé s'est étiré brusquement au point de buter contre le siège avant, a raconté Guy Raugel au juge, après, ça s'est arrêté d'un coup." A Man, le colonel Burgaud est "effondré" par le mode opératoire, il aurait préféré une bonne tentative d'évasion. Mais, "à l'infirmerie, j'ai vu le mort arriver et c'était ce qui était idéalement prévu", convient le chef de corps.
Le médecin-chef, mis dans la confidence, évite soigneusement de signer le certificat de décès. Le corps, placé dans un sac en plastique noir à fermeture à glissière, est déposé dans la nuit devant la morgue de l'hôpital de Man, qui le met au frigo. Il y reste un mois. Le temps que les Français produisent un étrange document dont il n'existe, semble-t-il, qu'un seul exemplaire.
"Après consultation des membres de la famille (...), il a été décidé par le conseil du village de Dah (...) que le dénommé Mahé n'aurait pas de funérailles dans son village et que, par conséquent, ni la famille ni les autorités ne veulent récupérer le corps du défunt." Le papier n'est signé que par deux personnes : l'adjudant-chef, qui tenait à rester discret, a évité d'apposer son paraphe. Adèle Dito a signé, avec le cachet de la mairie, à côté de la signature, en belle anglaise, de "Monsieur Gouhé Benoît, chef du village de Dah".
Plusieurs éléments laissent penser qu'il s'agit d'un faux. Le chef du village a bien vu l'adjudant-chef Raugel le 14 mai, — le militaire a eu l'estomac de venir le lendemain de l'assassinat —, mais pas un membre de la famille n'était présent. Guy Raugel, qui avait un indicateur à Dah, venait récupérer le kalachnikov du défunt. Le chef a répondu tout ignorer de l'arme. Le Français est revenu le jour suivant avec Mme Dito pour proposer de remettre le corps. Benoît Goué a refusé puisqu'il "n'est pas le parent". Le sous-officier est revenu une troisième fois avec une décharge, que le chef, devant témoins, a refusé de signer. Quelqu'un l'a fait pour lui, avec une faute à son nom. Benoît Goué ne sait d'ailleurs ni lire ni écrire et aurait obligatoirement mis le tampon du village sur un document aussi officiel qu'embarrassant.
Mahé était-il ou non un coupeur de route ? Son village assure qu'il n'en était rien, que les rebelles se sont débarrassés de lui en manipulant les Français. "S'ils voulaient l'interroger, explique son cousin Mathias, les Français n'avaient qu'àvenir au village. Il ne se cachait pas." Un certain "caporal Junior", de Licorne venait d'ailleurs souvent boire le vin de palme au village et connaissait tout le monde.
D'autres témoignages, cependant, jettent une ombre sur le défunt. Le 7 avril 2005, Frédéric Lion, dans un bus en route pour Man, est arrêté sur la grand-route juste avant Bangolo par un homme armé d'un calibre 12 à canon scié. Le reste de la bande, cachée sur le bas-côté, fait descendre la vingtaine de voyageurs. Frédéric Lion se fait rouer de coups et dépouiller de ses biens. Les bandits, qui parlent devioler les femmes, prennent la fuite en entendant un camion approcher. "Ce n'est que des mois plus tard que je suis tombé sur un article qui disait qu'un certain Mahé avait été tué par les Licorne, explique la victime. J'ai reconnu la photo de l'homme qui nous avait attaqués. Je ne suis pas content qu'on ait tué un homme en l'étouffant, mais de là à le présenter comme un combattant de la liberté, c'est indigne."
Beaucoup dans la région ne sont pas fâchés d'être débarrassés d'un coupeur de route, avéré ou pas. A Man, les ex-rebelles assurent avec satisfaction "ne riensavoir de l'affaire Mahé". Mais ils laissent prospérer un "comité de soutien au général Poncet", le chef de Licorne mis en examen le 13 décembre. "Nous ne comprenons pas qu'on vienne vilipender un général qui a neutralisé un criminel,assure Camara Daouda, dit "le Parigot", président du comité. S'il est condamné, nous allons contraindre par la force la France à quitter la Côte d'Ivoire. Pour nous, c'est une affaire politique."
"Le Parigot" a ses entrées chez les Forces nouvelles et des intérêts chez les transporteurs de cacao. Il n'y a guère que les militaires français qui doutent toujours qu'"il y ait des ramifications politiques dans cette malheureuse affaire".

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